Le terme « épigénétique » est à la mode, parfois dévoyé à des fins commerciales, mais cette jeune discipline scientifique a énormément à nous apprendre de l’embryologie jusqu’à la compréhension du cancer. Faisons le point.
Avez-vous déjà entendu parler d’épigénétique ? Cette notion est à la mode et vous avez pu voir passer des annonces pour des stages de remise en forme épigénétique, des conseils d’alimentation adaptée grâce à un épi-nutritionniste, et même pour du sérum épigénétique anti-âge pour vos rides… Tous ces produits estampillés « épigénétique » existent ! Et ils font la fortune d’opportunistes. Il ne s’agit pas de prétendre que le sérum n’estompera pas vos rides ni qu’une bonne alimentation n’améliorera pas votre santé, mais d’affirmer que rien ne prouve que l’épigénétique ait un quelconque rôle dans tout ça.
Par ailleurs, Edith Heard vient de recevoir la médaille d’or du CNRS, un prix prestigieux, pour ses travaux sur l’épigénétique et les premiers « épi-médicaments » sont testés lors d’essais cliniques contre le cancer. Alors, où est la vérité dans tout ce qu’on peut lire ou entendre ? Où en est la recherche ?
Définir l’épigénétique
L’épigénétique, une toute jeune discipline scientifique, a pour objectif d’expliquer comment, quand et avec quelle intensité chaque cellule contrôle le fonctionnement de chacun de ses gènes, en lien avec son environnement. En effet, toutes les cellules qui constituent un individu possèdent la même collection de gènes (le même génome), pourtant, chacune d’entre elles a une fonction différente parce que chaque cellule n’utilise qu’une petite fraction de ses gènes. L’épigénétique recèle donc l’espoir fou de comprendre non seulement le vivant, mais aussi les interactions entre les êtres vivants et avec le monde qui les entoure. Tous les domaines de la biologie sont concernés, de l’évolution des espèces à la santé humaine, en passant par le fonctionnement du cerveau ou le développement embryonnaire.
Grâce à un système de signalisation, appelé « marques épigénétiques », les cellules utilisent de façon appropriée les informations génétiques contenues dans leur noyau. Celles-ci conditionnent le degré de compaction de la chromatine, constituée d’ADN et de protéines. Si la chromatine est compacte, les gènes présents dans cet environnement ne vont pas pouvoir s’exprimer. Au contraire, si des gènes sont dans une structure de chromatine ouverte, ils vont pouvoir s’exprimer et des protéines ayant des fonctions spécifiques pourront être produites. La balance des régions « chromatine ouverte » versus « chromatine compacte » est déterminante pour que le programme d’une cellule soit correctement effectué et que l’identité des cellules soit reproduite au cours des divisions cellulaires.
Ces mécanismes ont été scientifiquement démontrés comme étant impliqués dans le contrôle du développement embryonnaire chez tous êtres vivants (animal ou végétal, y compris, l’humain) ou en réponse à l’environnement chez les plantes, ainsi que dans de nombreuses pathologies comme le cancer.
L’épigénétique, un rôle primordial dès l’embryon
Par exemple : Imaginons que vous êtes en train d’apprendre quelque chose : à jouer d’un instrument de musique ou ce qu’est l’épigénétique. Le processus de mémorisation à moyen et long terme résulte de la mise en réseau de quelques neurones qui voient leur système de communication renforcé par la répétition du geste ou de la lecture du concept. Et ce renfort de la communication entre neurones est dû à l’apposition de marques épigénétiques activatrices au niveau des gènes responsables de la formation des souvenirs. Si vous négligez un souvenir, ces marques s’effacent et vous l’oubliez.
Autre exemple : vous êtes fumeur… À chaque cigarette, la fumée qui pénètre dans vos poumons va modifier les marques épigénétiques déposées sur l’ADN de vos cellules pulmonaires, conduisant à la surexpression des oncogènes (des activateurs de tumeur) et/ou l’inhibition de gènes suppresseurs de tumeurs ouvrant ainsi la porte au cancer.
Mais en réalité, le moment où l’épigénétique joue son rôle le plus spectaculaire, c’est au cours du développement de l’embryon et du fœtus, pour former les différents organes. Vous ne vous êtes jamais demandé comment, après la fécondation, la cellule unique qui résulte de la fusion de l’ovule et du spermatozoïde va pouvoir devenir un bébé ? Avec ses milliards de cellules spécialisées, les neurones, les muscles, les cellules cardiaques ? Si cette cellule unique ne faisait que proliférer, on obtiendrait une grosse boulette sans bras, ni jambe, ni cerveau ! C’est parce que les cellules qui sont produites à partir de cette cellule originelle se spécialisent au fur et à mesure qu’elles sont formées ; et cette spécialisation (on dit que les cellules acquièrent une identité) se fait grâce à l’apposition de marques épigénétiques qui vont à la fois éteindre la fraction de gènes dont une cellule donnée n’aura pas besoin et activer ceux dont elle doit se servir. C’est l’apposition de ces marques épigénétiques, en lien avec l’expression de facteurs de transcription spécifiques (les protéines qui participent au contrôle de l’activité des gènes), qui programme la cellule pour qu’elle devienne un neurone ou une cellule cardiaque.
Au cours de ce processus, la spécialisation des cellules est très sensible à la qualité de l’environnement utérin. Et l’organe le plus sensible, c’est le cerveau. Un excès d’alcool ou une prise régulière de cannabis pour éviter les nausées du premier trimestre par exemple, et le cerveau du bébé se développera moins bien, la programmation des neurones, leur communication seront altérées.
Des différences épigénétiques pour des destins bien différents
Les régulations épigénétiques au cours du développement embryonnaire peuvent aussi, chez certains animaux, changer le destin de l’individu… Chez les abeilles, cette régulation détermine l’organisation sociale de la ruche. En effet, la méthylation différentielle de certains gènes engage les abeilles dans une vie soit de reine, soit d’ouvrières, et ce uniquement par une nourriture différente lors du développement des larves. De façon aussi incroyable, la régulation épigénétique est à la base de la différenciation sexuelle entre mâles et femelles chez les tortues. Les mâles vont se développer à une température basse (26 °C) et les femelles à une température plus haute (32 °C). La température basse va permettre la déméthylation de l’ADN autour d’un gène de différentiation mâle, conduisant à la production de mâles.
La reprogrammation épigénétique du génome, qui s’opère au cours du développement embryonnaire, est indispensable afin d’effacer les marques épigénétiques présentes dans les gamètes parentaux pour ensuite implémenter les modifications spécifiques à chaque cellule.
Ce même processus se met en place au cours de la formation des cellules tumorales. Les cancers, qui sont tout autant des maladies génétiques qu’épigénétiques, se développent en réprimant des gènes suppresseurs de tumeurs et en activant des oncogènes, par l’accumulation de mutations et d’épimutations. Mais également, en effaçant, plus ou moins complètement, les marques épigénétiques qui déterminent l’identité de la cellule en cours de cancérisation. Ces découvertes ont conduit à développer des épi-médicaments ciblant les enzymes de ces différents mécanismes.
La reprogrammation des marques épigénétiques pour traiter certaines pathologies est une stratégie porteuse d’espoir. Mais il est éthiquement discutable d’associer le terme « épigénétique » à des pratiques sans rapport direct avec ce vaste domaine de recherche, simplement par effet de mode, ou à des fins mercantiles.
Corinne Augé, Professeur en génétique moléculaire et biotechnologie, Université de Tours et Sylvaine Renault, Enseignant-chercheur en Génétique moléculaire, Université de Tours
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.